Illucia Sarkhoff, Commandant-Inquisiteur Ecarlate.

Illucia Shely fut très tôt une petite fille studieuse. Sa joie de vivre et son impulsivité la poussait à apprendre toujours plus. Elle faisait toujours quelque chose, quoique se soit, elle consacrait toujours à la perfection de ce qu’elle réalisait. Son père disait d’ailleurs avec fierté que sa gamine finirait conseillère du Roi Terenas. Bien sur c’était impossible.

La famille Shely vivait un petit village à l’est du Comté de Darrow, connu sous le nom de Nalhoff. Le père d’Illucia était vassal du Seigneur Mereldar qui dominait ces terres, lui-même vassal du duché d’Usakar. Un petit village agricole comme il en existait des milliers en Lordaeron. Un petit village agricole paisible, en bordure de forêt d’une part, et de milliers d’hectares de champs et de plantations. Sur une colline voisine se dressaient des dizaines de moulins à vent authentique, là où partaient jouer les enfants du village parmi lesquels Illucia.
La famille Mereldar, fière lignée de seigneurs puisque elle descendait à quelques générations d’une famille parallèle à la dynastie régnante, celle du Roi Terenas Menethil, troisième du nom. Cependant elle était passée au second rang, forcée de s’allier et de se soumettre à d’autres seigneuries et principautés plus fortes. Ce petit coin de paradis restait cependant l’un des centres des quelques richesses restantes des Mereldar. En réalité une partie de cette richesse foncière allait directement vers les terres du Duc d’Usakar.
Nul ne savait vraiment dans le village de Nalhoff où se situait ce duché, ni même qui était le duc en question. Peu importe, seule la famille Mereldar avait des droits sur les roturiers à leurs yeux. Nul ne connaissait même ces armes, ces emblèmes.

Aluzaron d’Usakar était pourtant l’un des ducs les plus puissants du Royaume de Lordaeron. Ses terres se situaient loin de là, de part et d’autre de la Thondroril. Mais ces terres s’étendaient bien au-delà du centre, puisque les alliances, les vassalités et les mariages de famille permettait au Duc Aluzaron d’Usakar d’étendre sa main mise sur un vaste et très complexe labyrinthe de terres, de domaines. Des domaines étant plus ou moins soumis au Duché, en fonction de leur éloignement, mais aussi en fonction de leur appropriation par le duché. Par exemple des domaines acquit par dot de mariage étaient totalement assimilés au duché ; tandis que des domaines et des seigneuries ayant seulement prêté hommage-lige au Duc restaient en grande partie sous le commandement du vassal.

Mais la Seigneurie de Mereldar, malgré son apparente tranquillité, vivait dans la crainte d’une guerre interne. Le Roi Terenas semblait assez peu se soucier des dissensions entre ces sujets. La Seigneurie de Méreldar était depuis longtemps dans le colimateur du Comte de Darrow. Sa richesse foncière n’était pas la seule raison de cet intérêt.

En réalité, le Seigneur Méreldar était le fils du frère de la femme de l’actuel Comte de Darrow et ce dernier estimait légitime que les terres de Méreldar lui revienne. Il était donc le neveu de la comtesse de Darrow. Cette rivalité familiales qui risquait de mettre la région à feu et à sang avait toujours été tempérée par le Roi et les principautés voisines par le jeu des alliances et des unions familiales. Par précaution, le Seigneur Méreldar était devenu vassal du Duc d’Usakar à la recherche de protection.

Au village, ces histoires de nobles n'intéressaient absolument personne. La seule chose qui importait était la vie de tous les jours, les cultures, des récoltes, les enfants qui jouaient et se préparaient à une vie studieuse ou agricole, la famille plus importante que tout, les collecteurs d’impôts, les prévôts etc. Régulièrement, des fêtes animaient la vie monotone des villageois. Des mariages entre roturiers étaient la bonne occasion pour des banquets et des beuveries géantes. Une fois, le seul et unique vétéran de la seconde guerre encore en vie du village qui se mariait, avait invité un ami nain. Celui-ci avait agrémenté la fête d’un formidable feu d’artifice. Des fusées qui explosaient en des milliers d’étincelles multicolores, il n’en fallait pas plus pour amuser les enfants.

La famille Shely n’avait qu’une enfant. La petite Illucia impressionnait par son caractère à la fois doux et motivé. Elle ne reniait jamais une seule tâche, tant agricole qu’intellectuelle. Elle était surtout très jolie. Une petite fille qui attirait les compliments des vieux gâteux, des paysans qui la voyaient déjà comme la jeune femme la plus belle du village d’ici quelques années. A l’âge de ces 12 ans, elle alla même toute seule à la chapelle pour prier la Lumière, au grand étonnement de ces parents. En réalité elle avait seulement perdu un pari avec ces amis, le gage était d’aller faire semblant de prier.

Les adultes n’y prêtaient guère attention. Si le culte de la Lumière était fortement ancrée dans les villes et les grandes familles, il l’était moins dans les campagnes. On voyait jamais des Paladins de la Main d’Argent se ballader en des coins aussi reculés sauf en cas de guerre majeure. De temps en temps les adultes venaient prier, pendant les grandes fêtes ou au début des moissons pour bénir les récoltes, mais c’était tout.
Tout allait bien finalement. Illucia était destinée à devenir une charmante demoiselle pleine de vertu, à cultiver les champs avec ces amis. Ou encore passer ces journées à la préparations des mets du soir, au lavage des vêtements au bord du lac de Méreldar de l’autre côté de la forêt. A la cueillette en forêt. Ou peut-être servante au fort de Méreldar. Dans tous les cas personne n’espérait mieux pour la fille roturière d’une famille de roturiers depuis des décennies, et c’était déjà pas mal. Tout allait changer. En réalité Illucia était destinée à des fonctions bien plus grandes que simple paysanne. Et elle le sût dès qu’un petit évènement chamboula la routine du village.

[A suivre : chapitre 1=> L'acolyte des Ténèbres]

Le jour du seizième anniversaire d’Illucia approchait à grand pas. Le seizième anniversaire était un évènement important au village, elle allait devenir prête au travail. Au vrai travail. Elle devenait titulaire de tous ces droits, tous les droits permis aux roturiers bien évidemment. Elle attendait l’évènement avec impatience et une belle fête allait sûrement avoir lieu.

Le dernier après-midi de la semaine précédent l’évènement, Illucia avait passé son temps aux champs, avec le jeune homme avec qui elle flirtait volontiers. C’était le fils du forgeron, destiné à suivre les traces de son père. Quand il ne passait pas son temps à apprendre les techniques de forge devant la forge et l’enclume, il accompagnait Illucia aux champs pour la récolte, ou alors dans la forêt se balader, discuter, apprécier la vie. Alérion Krolov était un jeune homme robuste, brun ténébreux, il avait 16 ans depuis plusieurs mois et attendait avec impatience l’évènement de sa douce petite-amie pour lui demander officiellement sa main. Il avait prévu de le faire dès la soirée d’anniversaire.

Quand il rentrèrent au village en début de soirée, tout souriant, ils furent étonnés de voir un rassemblement des hommes et des femmes sur l place centrale. Le crépuscule pointait le bout de son nez, normalement à cette heure-ci, les hommes buvaient un coup pour fêter la monotonie de la journée et les femmes aux fourneaux pour préparer le repas du soir.

S’approchant et tentant de voir qui était responsable d’un tel attroupement, les deux adolescents poussèrent les roturiers et finirent par faire face à un homme inquiétant. On voyait à peine son visage, caché par un long voile noir et revêtu d’un manteau et d’une cape noire, couverts de symboles mystérieux. Il tenait dans sa main gauche un livre étrange, sur la couverture apparaissait les motifs d’un visage agonisant d’où émanait une énergie verdâtre. L’homme était en train de raconter une histoire et tous semblaient pendus à ses lèvres. Illucia et Alérion étaient arrivés au milieu et prirent l’histoire où elle en était.

-… Quand le dernier fut vaincu, il s’approcha du Roi scarabée, et de sa toute puissance il le releva d’entre les morts afin qu’il le serve pour l’éternité.

Il marque une pause le temps d’observer un court instant les deux nouveaux arrivants, puis poursuit son récit.

-Le Roi nérubien ne fut pas le seul, et bientôt, il eut sous sa domination une immense armée qu’il envoya dans les profondeurs d’Azjol-Nérub dans le but de vaincre définitivement la menace des insectes géants. Il y parvint, et bientôt, ses serviteurs purent apprécier le goût de la victoire.

L’homme ténébreux parlait d’une voix légèrement lointaine, déphasée, mais avec un ton qui poussait à l’intérêt, à la fascination. Parmi les villageois, il y avait ceux qui écoutaient avec ferveur et étaient impressionnés par les exploits du fameux releveur des rois-scarabées. Les autres restaient sceptiques, méfiants et observaient avec recul l’arrivée de ce charlatan.

-Que s’est-il passé ensuite ? demanda avec avidité le père d’Alérion qui se trouvait en première ligne.

-Le Seigneur Noir a conquit la totalité du Continent glacial et en récompense, offrit à ces fidèles l’immortalité.

-Oooooooohhhh, s’exclamèrent en cœur plusieurs villageois, apparemment ravis qu’un tel pouvoir puisse exister.

-A présent, notre Seigneur Noir vient sauver ce continent. Je suis venu apporter sa parole, afin de vous aider à trouver la voie de l’immortalité. Car tel est le but de tout être. Car telle est sa divine volonté.

-Avec tous mes respects sir mais… puis-je vous offrir à boire dans ma modeste taverne ? Nous pourrions ainsi plus longuement discuter des exploits et des cadeaux de votre seigneur !

L’acolyte ténébreux accepta l’offre d’un hochement de tête humble et suivit le tavernier, accompagné par la moitié du village. Alérion emboîta le pas de son père pour suivre l’acôlyte.

-Alérion ? Balbutia Illucia.

-Illu… TU devrais venir ! Je suis sur qu’on peut apprendre beaucoup de choses !

-Ce n’est qu’un charlatan Al ! Viens chez moi je t’invite à dîner… enfin sa mère est d’accord.

-Ça serait avec plaisir tu le sais bien, mais j’ai le sentiment que je dois écouter ce que ce messager a à nous dire.

-Comme tu veux, mais ne comptes pas sur moi, j’aime pas les charlatans.

Alérion lui sourit puis suivit la troupe. Illucia rentra chez elle et ouvrit la porte, laissant entrer dans la pièce principale la lueur du dernier rayon de soleil rougeoyant de la journée. Franck Shely, le père d’Illucia l’attendait de pied ferme. Il avait l’air anxieux et remonté.

-Alors ?! Il t’a plu le charlatan ? demanda t-il sur un ton de reproche.

-Papa ! Alérion n’a rien d’un charlatan ! répliqué t-elle.

-Je te parle pas de ton amoureux ! je te parle du type qui vient d’arriver au village et qui raconte des histoires à dormir debout à quiconque veut bien l’entendre ! je t’ai vu t’approcher de lui…

-C’est un charlatan comme les autres… Fallait bien que je me fasse une idée de qui il pouvait être.
Son père l’observa quelques instants puis fut soulagé.

-Tant mieux, cet homme n’est pas censé être le bienvenu à Narlhoff mais, il semble que la moitié du village soit totalement hypnotisé par ce type, je n’aime pas ça.

-Alérion l’a écouté trente secondes et il est tombé sous le charme. Quelle sorcellerie ce charlatan a-t-il pu bien utilisé pour les envouter à ce point ?

-C’est bien ce qui ‘inquiète ma fille ! D’habitude ces charlatans n’ont pas autant de crédits. Il ne peut être qu’un sorcier ! Un vil magicien venu nous proférer un savoir interdit ! je ne veux pas que tu l’approches de nouveau.

-Promit papa…

-Allons donc fillette ! Passons à table ! Ta mère nous a préparé un ragout succulent comme d’habi… ILLUCIA !

Illucia avait bondit sur la porte et était sortie en trombe. Elle traversa le village en quelques secondes d’une course effrénée jusqu’à la taverne. Elle entra et chercha Alérion du regard. Elle eut bien du mal à se faufiler entre les curieux avides. Elle sentit une main sur ces fesses mais n’y prêta guère plus d’attention. Elle finit par apercevoir Alérion dans un coin prêt de la cheminée devant laquelle était assis l’acôlyte.

-Alérion ! TU n’a rien à faire là ! Viens allons manger…

Elle dit cette phrase suffisamment fort, l’acôlyte n’eut aucun mal à l’entendre. Il tourna la tête vers Illucia.

-Cette jeune fille, belle, radieuse, séduisante… Je sens un immense potentiel en vous ma chère. Un peu comme Jandice.

Illucia regarda l’acôlyte et son teint passa du pâle au rouge vif en un éclair. Elle voulut balbutier quelque chose, aucun son ne sortit de sa bouche.

-Laissez-là messager ! Intervint Alérion. Ayez pitié de sa naïveté et sa faiblesse d’esprit. Elle est méfiante mais nous pourrions tous l’être… Laissez-lui une chance de vous prouver sa vraie valeur.

Il prit Illucia par le bras mais cette dernière repoussa l’étreinte brusquement. Elle regardait son futur fiancé, stupéfaite par ce qu’il venait de dire. Puis elle finit par se tourner vers l’acôlyte.

-Qui êtes-vous pour avoir changer aussi rapidement les gens de ce village charlatan ! proféra t-elle avec force.

Les témoins furent choqués par l’utilisation de ce terme.

-Illucia, ma tendre, tu ne peux…

-TA GUEULES ! Je ne suis plus une gamine ! Hurla t-elle. Et vous, messager des ténèbres ou je ne sais quoi…

-Quel sortilège utilisez-vous ? Vous êtes sorcier n’est-ce-pas ?

-Tu es plus perspicace que la plupart des roturiers de ce village jeune fille, dit-il toujours très calme. Je n’ai usé d’aucun sortilège si ce n’est la promesse d’un don exceptionnel à qui veut bien l’entendre…

-Seuls les charlatans font don de promesses exceptionnelles !

-Vos préjugés sont justes. Mais je ne puis être qualifié de charlatan.

Il se leva lentement, et domina la pièce et la foule de toute sa hauteur. Il tendit sa main et récité une formule mystérieuse. Des traits d’ombre et des crépitements d’énergie jaillirent de sa main. Les torches illuminant la salle vacillèrent, la lumière perdit de son éclat et une brise non naturelle et pétrifiante frappa les nuques des protagonistes. Les villageois étaient stupéfaits. Illucia la première.

Le calme revint. La lumière se rétablit, et l’énergie magique qui avait jaillit de la main de l’acôlyte s’estompa. Il se rassit, apparemment satisfait de l’effet qu’il avait engendré.

-Que vous offre le Seigneur Méreldar ? Que vous offre le Duc d’Usakar ? Que vous offre le Roi Ménéthil III ? Une terre, de quoi se nourrir, et aucune reconnaissance. Le Seigneur Noir vous offre l’immortalité, et la promesse d’un don exceptionnel. Rejoignez notre culte, et obtenez ce que vous avez toujours mérité : un pouvoir dépassant votre compréhension.


[A suivre : "Le tournoi de Méreldar"]