Begoria Prestegriffe

Les années d'apprentissage.

Hurlevent, par les voix de ses habitants, semblait ce matin cancaner toute entière. Les villageois vacaient à leurs occupations quotidiennes et une odeur de pain chaud sorti du four embaumait l'air.
La place était agitée et les dames les plus importantes arboraient comme de coutume les plumes et les soieries froufroutantes qui composaient leurs tenues élaborées. Plus elles attiraient les regards et mieux elles se portaient. Soucieuses de se complimenter mutuellement, elles ne se menaient pas moins une guerre constante afin de conserver l'exclusivité de l'attention générale... une notorieté ephémaire mais pourtant si importante à leurs yeux.

Au fond de la capitale bienveillante, le quartier nain accueillait déjà l'aube à coups de marteaux résonnant sur les enclumes en un tintamare rythmé, une étrange berceuse métallique à laquelle Begoria s'était maintenant habituée.
Juchée en tailleur sur un tabouret de fer, elle apportait les derniers réglages nécessaires à sa dernière construction. Elle ne savait pas vraiment elle-même ce qu'elle fabriquait mais il s'agissait là de sa toute première invention et elle brûlait d'impatience de montrer son petit bijou à celui qui avait accepté de lui offrir son savoir. Ce dernier, un vieux gnome rabougri aussi fou que court sur pattes, avait failli faire sauter son atelier à quatre reprises déjà, ameutant toujours les confrères alentour. Certains le pensaient dangereux, d'autres un peu simple d'esprit, Begoria quant à elle, le trouvait tout simplement fascinant.
Elle était entré par hasard dans la bâtisse de l'ingénieur alors qu'elle fuyait un jeune courtisant étouffant dont la seule conversation avait été tournée vers sa reluisante épée, ses prouesses au combat grace à cette même épée, et la manière dont il en prenait soin chaque jour. Elle était à vrai dire si bien astiquée et le prétendu guerrier si efflanqué et pomponé qu'elle se demanda bientôt si la dite lame n'avait ne serait-ce été qu'une seule fois sortie de son fourreau pour toute autre fonction que celle de permettre à son propriétaire de se vanter durant des heures.
Begoria se moquait pas mal de ce que les mâles pensaient d'elle, elle les trouvaient de toute manière tous aussi stupides et prétentieux qu'inutile. Pour qui se prenaient-ils à tous se sentir obligés de se comporter en héros dés qu'il s'agissait de sauver la veuve ou l'orphelin ? Ou ne serait-ce d'ailleurs que la première demoiselle en détresse qui leur passait sous la main. Ne leur était-il jamais venu à l'idée qu'elles pouvaient parfaitement se débrouiller seules ? Elle regrettait parfois quand même que n'existe nulle part celui qui saurait un jour la comprendre... elle et ses idéaux. Elle acceptait difficilement l'idée que la lignée des Prestegriffe s'éteigne avec elle. Tout comme elle acceptait mal celle de finir ses jours auprés d'un de ces freluquets qui jonchaient les pavés d'Hurlevent.

Son adaptation à la civilisation avait d'abord été éprouvante. Terrée des années au fin fond de la flore sauvage d'Azshara à méditer et à parfaire sa maîtrise de soi, elle avait fini par en oublier tout semblant de bonnes manières et d'éducation. Elle avait d'abord été étonnée par les humains, ces petits bouts d'hommes et de femmes au caractère bien trempé qui n'avaient jamais réellement eu de quoi se démarquer, depuis toujours simple mortels, mais qui n'en avaient pas moins su s'implanter sur ces terres et mener à bien de grandes choses. Elle avait fini par leur vouer un respect certain et par se laisser influencer par certaines de leurs coutumes. Elle avait ainsi bu avec émoi sa première chope d'hydromel. Mémoriale avait été la façon dont elle avait fini ivre à danser parmi les différents convives... Mémorial aussi avait été son état le lendemain, et les histoires racontant qu'un félin avait été croisé dans les rues sombres de la capitale difficilement capable de mettre une patte devant l'autre ne manquaient pas de la faire rougir à chaque fois.
Elle avait fait la connaissance de jeunes demoiselles qui prenaient un plaisir fou à la conseiller sur ses tenues vestimentaires, tantôt de la soie, tantôt de l'étoffe de tisse-mage, si en vogue ces derniers temps, un jour du rose parme, un autre du bleu roi, et toujours agrémenté de ce petit gloussement -un peu niais avouons-le- qui lui soutirait chaque fois un léger sourire.
Elle avait lors d'un voyage rencontré également une doyenne naine qui avait eu l'honneur de servir auprés d'importantes personnalités. Cette dernière s'était très franchement moqué de Begoria lorsqu'elle avait évoqué le port de couronnes de fleurs typique chez les elfes et cette réaction n'avait pas été pour déplaire à la jeune Kaldoreï qui, se liant d'amitié avec l'ancienne camériste, avait appris l'art de nouer ses cheveux à la manière de Kharanos.
Aujourd'hui c'était une nouvelle Begoria que renvoyait chaque matin son reflet. Loin de la sauvageonne hirsute qu'elle était encore il y a peu, elle était presque une dame désormais. L'idée l'amusait à vrai dire, sauf peut-être quand sa nouvelle personne attirait involontairement ces prétendants indésirables.

Begoria posa sa clé à molette et releva ses lunettes afin d'admirer son travail, le jugeant scrupuleusement sous tous les angles. Elle passa le revers de sa manche sur son front humide, la chaleur qui émanait de la forge à proximité rendait l'air presque irrespirable. Elle avait fini par utiliser ses propres sources d'énergie et de combustibles, huiles végétales et autres matières non polluantes étaient devenus ses meilleurs alliés. Mais faire accepter ces changements aux nains et gnomes du quartier n'était pas chose aisée et elle passait souvent pour aussi illuminée que son gnome de maître. Il était déjà mal vu pour un druide de vouloir infiltrer les connaissances de l'ingénierie, si ce dernier voulait de surcroît en bouleverser le savoir-faire ancestral, il avait tôt fait de se mettre tout le monde à dos. Tout le monde sauf bien entendu son éminent professeur, desuite interessé par l'idée, non pas par soucis pour l'environnement, mais plus dans l'idée de paraître encore plus marginal que d'habitude.
C'était là son lot quotidien, entre son atelier et différentes quêtes qui la menaient à voyager à travers tout Azéroth. Ses talents pour la restauration étaient demandés en de nombreux lieux et même si ses compagnons de route n'étaient pas toujours de premier choix, elle s'appliquait à maintenir en vie ces derniers avec toute la persévérance et le savoir-faire que l'on attendait d'elle. En disciple assidue, elle avait soif de conaissance et aprennait vite. Aprés avoir réussi à s'approprier la force de l'ours, elle avait acquérit l'agilité et la puissance de la panthère ainsi que la rapidité du léopard. Les adeptes de la voie druidiques se plaisaient à dire qu'elle était vouée à de grandes choses. Mais au fond d'elle-même, Begoria aspirait à un rôle plus constructif. Elle rêvait de rejoindre enfin le Dûché dans sa cause et d'agir là où l'on avait réellement besoin de son art.

La Kaldoreï poussa un soupir et laissa en chantier son activité, decidée à abandonné un moment l'air saturé de la forge pour celui plus bénéfique du parc.
Une brise légère l'accueillit et balaya la morosité qui habitaient ses pensées. S'emparant d'un bâton, elle rejoignit l'attroupement de disciples qui s'était formé autour de leur mentor. Répétant chaque mouvement comme on le leur avait appris, ils entamèrent les passes avec une coordination parfaite : une même entité, un même savoir dans un même but.
Ainsi s'entamait une journée de plus sous un ciel clément. Laissant raisonner les nouvelles et les ragots, mêlé parfois de rires, la capitale érigeait ses murailles en ruche bourdonnante, forte de sa puissance. Ainsi s'entamait une journée de plus dans la grande cité d'Hurlevent.